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La société française au départ des Marcotte

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Sur le plan national au moment du départ de Nicolas et de Jacques Marcotte, Louis XIV commence la guerre de dévolution, pour reprendre les Pays-Bas à l'Espagne, du droit de Marie-Thérèse, son épouse, dont le père, Philippe IV, s'était remarié.

 

Colbert régit les finances depuis bientôt sept ans et sa politique de déflation rend l'argent rare et gêne les transactions au point que Madame de Sévigné, dans ses lettres à Madame de Grignan, sa fille, se plaint de ses embarras financiers et s'emporte contre ses fermiers et ses paysans: "Il ne faut compter, avouait-elle, que sur le quart de son revenu... Quand on demeure chez soi et qu'on n'y mange point ses denrées, je ne sais trop bien comment on peut faire". Voilà qui nous donne la température de l'époque. Les ventes, par suite de la rareté de l'argent, se ralentissent. A la campagne surtout, la propriété ne change pas de mains. Louis XIV a senti le danger et prescrit aux abbayes de reconstruire et de restaurer pour donner du travail.  Lui-même donne l'exemple avec Versailles et l'Hôtel des Invalides. Mais cela ne suffit pas. Il conseille le départ pour les terres lointaines. La France a, à ce moment, 70 vaisseaux de guerre, beaucoup de navires corsaires, rivalisant avec les flottes anglaise, hollandaise et espagnole, et capable de protéger les convois se rendant aux colonies: Indes Orientales, Afrique et Amérique.

Fécamp

La ville et le port de Fécamp étaient, à leur échelle, le reflet de la France. En 1667, Fécamp comptait 41 corsaires, 45 terreneuviers, 17 navires pour les expéditions coloniales, 107 pour le commerce, 54 pour la droguerie (ici entendez les épices et tous les produits végétaux pour l'art de la médecine) et une quantité assez grande de bateaux de petite pêche que les archives ne précisent pas. Mais, si la marine marchait à souhait, il faut dire que la récente fondation du port du Havre, voulue par François 1er au siècle précédent, avait pompé la population de Fécamp qui, de 16 000 âmes au début du XVIe siècle, était tombée à 8 000 âmes environ pour les dix paroisses de la ville (La famille Marcotte vivait dans la paroisse de Saint-Léger, une des plus anciennes). De ce fait, le commerce avait certainement subi un ralentissement plus que notable. De plus, Louis XIV avait enlevé les revenus affectés aux hôpitaux (maladreries et léproseries qui étaient nombreuses dans la région) pour les donner aux hôpitaux du Havre.

 

Certes, les léproseries étaient devenues sans objet puisque cette maladie, apportée par les croisades, avait heureusement disparu depuis plusieurs décennies, toutefois, leurs revenus avaient été constitués par les familles de la région fécampoise en faveur ou en mémoire de ceux atteints par ce mal, ou même par des donations du monastère de Fécamp. C'était ainsi la communauté fécampoise qui s'en trouvait frustrée. Une intervention faite auprès du roi par les moines demeura sans résultat. Devant une décision du roi, même le plus grand seigneur pouvait peu. Et pourtant, l'abbaye de Fécamp, qui avait possédé des biens en Angleterre (biens perdus après

1204 lorsque le duché revint à la France), cette abbaye, possédait encore à cette époque de très vastes domaines en Normandie, avec manoir abbatial à Rouen et hôtel à Paris. Elle fut avec Fontevaut et jusqu'à la Révolution, la plus riche abbaye de France, ce qui justifiait alors le dicton:

"De quelque côté que le vent vente, l'abbaye de Fécamp a rente"

 

Cette abbaye, forte de son exemption (c'est-à-dire délivrée de toute juridiction ecclésiastique) et ne relevant donc que de Rome, portait dans son blason aux trois mitres d'or sur fond d'argent, la crosse d'abbé à la volute tournée au dehors. Cette abbaye régnait sur les ports de Fécamp et Veulettes, y nommait des vicomtes chargés d'y percevoir dîmes et taxes et d'y faire respecter l'ordre. Elle comptait, en 1667 ,70 moines environ. Elle devait verser la moitié du revenu abbatial à l'abbé commendataire nommé par le roi. Elle faisait l'aumône journalière à 1500 pauvres et pèlerins. Elle devait entretenir les forts, ports, bâtiments, rivières, terres et bois, ce qui l'obligeait à payer un personnel nombreux.

 

Du fait de son attachement aux ducs de Normandie, dont elle garda la nostalgie pendant longtemps, les rois de France semblent l'ignorer: ils la jugent trop normande. D'ailleurs, il faut dire que l'union de la Normandie et de la France ne fut d'abord qu'un mariage de raison avant de devenir un mariage d'amour.

 

Néanmoins, pendant cette crise du milieu du XVIIe siècle, l'abbaye fait ce qu'elle peut pour assurer la prospérité relative de sa région, mais la culture nourrit juste son homme et le commerce connaît plutôt le marasme. Seul le port semble garder une certaine activité mais le gros des activités a été transféré au havre.

 

Voilà donc le climat social dans lequel se trouvait la population fécampoise au moment où Nicolas Marcotte et son frère Jacques prennent la décision de s'expatrier.

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